Limes n° 2 Printemps 2000 : L'empire du pape (Broché)

Au centre de la géopolitique " wojtylienne ", le refus de toute division du monde entre Est et Ouest, aujourd'hui Nord et Sud. Ce Polonais pour qui les faits de culture - de la " Superstructure " - priment sur l'économie et la politique, avait compris très tôt que le communisme était plus fragile qu'il n'y paraissait. C'est justement ici que commencent les problèmes avec l'Amérique. Pour le monde entier, il y a désormais une monopuissance, les Etats-Unis. Karol Wojtyla semble parfois le regretter. Le fait est que le pape n'ignore pas l'essentiel : si elle veut convertir la planète, l'Eglise catholique ne doit en aucun cas être perçue comme occidentale. La relation entre pontife romain et président américain ne saurait donc plus être celle des années 80. Et puis 1'ultralibéralisme comme le consumérisme, parce que plus subtilement antireligieux, représentent pour l'Eglise un danger encore plus menaçant que le marxisme. D'où les frictions, les méprises et parfois les affrontements entre les deux centrales géopolitiques qui pensent encore le monde : le Vatican et Washington. Le pape pense le monde, mais non sur un mode indifférencié. Tremplin d'évangélisation des marches : l'Europe, toute l'Europe. Qui se trompe sur l'Europe, se trompe sur le monde. L'erreur que Karol Wojtyla se refuse absolument à commettre est d'admettre une quelconque division - géopolitique, économique, et surtout culturelle - de notre continent. En pleine célébration du Jubilé, le pape souligne une fidélité aux " deux poumons " occidental et oriental du christianisme. Pourtant, le projet œcuménique du pape semble confiné dans la stagnation. Dans les milieux orthodoxes, l'image de Rome reste celle d'un envahisseur potentiel. Dans le même temps, les représentations du pape ne font pas l'unanimité dans le catholicisme européen. On y trouve d'autres courants puissants : traditionalistes d'Europe de l'Ouest (surtout en France, mais également présents à la Curie et jusqu'à la secrétairie d'Etat) ; national-catholiques de l'ex-Est (polonais, tchèques, croates, hongrois) inclinant à l'antisémitisme et à la xénophobie ; progressistes avec le mouvement "Nous sommes l'Eglise" en Allemagne et en Autriche, Certes, Karol Wojtyla partage avec les national-catholiques une solide conviction (ou illusion ?) : les sociétés postcommunistes constitueraient, à l'épreuve passée de l'athéocratie, un réservoir de foi plus achevée que le monde consumériste de l'Occident.