C'est une singulière histoire que celle que je vais vous raconter - ou plutôt que celle que l'on va vous raconter, cher lecteur. Elle est écrite par un homme qui n'a jamais rien écrit que cette histoire. C'est une page détachée de sa vie, ou, pour mieux dire, c'est sa vie tout entière La vie de l'homme se mesure, non point par le nombre d'années pendant lesquelles il a existé, mais par les minutes pendant lesquelles son coeur a battu. Tel vieillard, mort à quatre-vingts ans, n'a vécu parfois en réalité qu'un an, qu'un mois, qu'un jour. Vivre, c'est être heureux ou souffrir. Faites passer devant le moribond couché sur son lit d'agonie tous les jours qu'il a traversés, il ne reconnaîtra que ceux qui viendront à lui le rire sur les lèvres ou les larmes dans les yeux. Les autres passeront ternes, voilés, insaisissables ; il ne pourra pas même dire si ces jours font partie de sa vie ou de celle d'un autre ; ces jours, il les aura usés, mais il ne les aura pas vécus.