" La littérature est une grande mer où pullulent des poissons de toutes sortes. J'y ai jeté mes filets. Et ma pêche fut extraordinaire. " Ecrite en 1940, publiée par Seghers en 1947, l'autobiographie du grand poète noir américain Langston Hughes est à redécouvrir, en même temps que son auteur, un écrivain majeur, absurdement méconnu en France.
Langston Hugues est un grand poète. Comme premier écrivain noir américain à vivre de sa plume, il a aussi joué un rôle fondamental dans l'histoire de la culture au nouveau monde.
En France, Pierre Seghers a publié ses mémoires en 1947, sans grand succès, ni postérité. Pourtant, The Big Sea est ouvre littéraire de grande qualité, pleine de style, de vie, de vérité, d'humour. C'est aussi un document exceptionnel, sur la jeunesse mouvementée d'un grand écrivain, sur le sort des noirs américains au début du siècle dernier, sur les " Roaring Twenties "... Un récit d'apprentissage attachant, un croisement picaresque entre Fitzgerald, Baldwin et Fante...
Evénement éditorial lors de sa parution et désormais considéré comme un classique aux USA, cet ouvrage est un trésor oublié du catalogue Seghers.
Né dans le Missouri en 1902, Langston Hughes, mû par un besoin absolu de liberté, a mené une vie aventureuse, ardente, parfois même dangereuse. Une enfance difficile, itinérante : il est écartelé entre sa mère, femme lettrée, mais toujours en quête de menues tâches pour survivre (femme de ménage, sténo...) et de ce fait amenée à changer sans cesse de domicile comme d'Etat (avant sa douzième année, Langston a déjà parcouru une grande partie du territoire américain, du Kansas au Nevada, de l'Illinois au Colorado...), et son père, qui a fui les USA pour le Mexique afin de monter des affaires sans avoir souffrir de discrimination raciale...
et qui se comporte lui-même de façon raciste, à la grande déception de son fils. Après quelques temps passés à ses côtés au Mexique (le jeune Langston sera professeur d'anglais pour des femmes de la capitale), il obtiendra que son père tant méprisé lui finance des études à l'Université de Columbia (NYC). Et s'essaiera avec succès à la poésie, bientôt publié dans des revues. Mais le goût de l'aventure et le besoin d'indépendance le pousseront à tout abandonner pour gagner seul sa vie.
Fidèle à la tradition américaine, il enchaine les petits métiers : garçon de courses chez un chapelier, groom dans un hôtel à Washington, employé chez un maraîcher, chez un fleuriste, sans jamais cesser d'écrire. Enfin, il embarque sur un vieux rafiot ancré sur l'Hudson river. Ainsi commence une vie de bourlingue qui le conduira sillonner le monde comme matelot a bord de navires de commerce naviguant entre l'Europe et l'Afrique...
Repeindre la coque d'un cargo dans le port de Gênes, survivre aux requins au large des côtes du Sénégal, accoster à La Havane...
Les deux étapes les plus marquantes de cet Odyssée juvénile seront Paris et Harlem. Vivre dans la capitale française était un rêve. Ce sera aussi une dure réalité. Cuisinier, garçon, portier de nuit dans les restaurants ou les boîtes de Pigalle tenus par des Noirs Américains demeurés en Europe après la première guerre mondiale, il mène une vie de bohême, souffre de la faim, côtoie la misère, mais aussi les musiciens, les danseuses, les noceurs...
Paris est alors le centre du monde.
Les péripéties malheureuses d'un voyage en Italie l'obligeront à regagner malgré lui les Etats-Unis. Et ce sera sa chance. Jeune auteur plein de promesses, il se retrouve à Harlem quand le jazz et la culture noire deviennent l'attraction majeure du pays et que les blancs les plus riches et célèbres de New York et du monde se ruent au cour de la cité noire, pour s'y enivrer dans les clubs, et s'y laisser inspirer...
En compagnie de quelques-uns, intellectuels noirs, il participera, à travers revues et publications diverses, à ce mouvement qui portera le nom de " Renaissance de Harlem ". Et toujours l'écriture, de poésies, nouvelles, romans, articles. Le rêve de la Renaissance noire prendra fin avec la crise de 1929, mais le jeune poète aventurier sera alors devenu Langston Hughes.