Quel plaisir d'accueillir sur publie.net
André Markowicz.
Quiconque l'a entendu sait ce dont il est dépositaire. Uneénigme, évidemment et c'est ce qui rend ceux-là si rares. Et
beaucoup de travail, évidemment aussi : une vie à
traduire.
André a toujours refusé de s'expliquer par écrit sur son métier
de traducteur, rien qui corresponde chez lui aux conférences de Claro (Lien -> #9782814500983) que
nous diffusons.
Mystère aussi, malgré son bilinguisme russe, c'est
par le grec et le latin qu'il commence ses traductions. Et puis il
y a cette curieuse vie, où on va jusqu'au bout d'un continent
sauvage de prose, Dostoiekski qui n'est jamais fini, qu'il remanie
et aiguise à mesure des rééditions, nous réapprenant un Dostoievski
glissant, tranchant, rapide, avec des fulgurations mystiques que
les traductions d'autrefois ne laissaient pas prévoir.
Mais, dans
ses journées de travail, il y a ces moments où il s'éclipse, et
oublie la traduction... en s'affrontant aux poètes.
Il a mis des années avant d'oser publier cson Eugène
Onéguine de Pouchkine, oeuvre que tous les Russes savent par
coeur. Il a publié des traductions de Mandesltam, Lermontov, il a
retraduit Tchekhov avec sa compagne, Françoise Morvan, mais c'était
toujours comme la partie émergée d'un affrontement souterrain plus
vaste.
Et, pour lui, cela passe, depuis des années, par des séances
orales.
André est là devant vous, assis, un texte sur les genoux
qu'il ne regarde même pas, parce qu'il le sait par coeur. Et il
vous embarque pendant une heure, deux heures, dans le fond d'un
vers, et tout ce qui lui il y entend. Les rythmes, prosodies,
l'héritage, les allusions, le paratexte, et puis qui était celui
qui écrit, quelles conditions biographiques. Alors, tout au bout,
qu'importe le texte français, qui n'aura duré que le temps de cette
séance, et n'aura pas laissé de trace : la lecture est avant
tout du temps, et ce temps où Markowicz nous a promenés dans
la langue, c'est la poésie elle-même, la poésie comme
expérience.
Dans le grand respect d'André pour les poètes qu'il nous rend
proches, il y acette part d'incommensurable due à l'histoire.
La
mort atroce de Mandesltam ou celle de Daniil Harms.
C'est dans ce contexte qu'il faut appréhender l'oeuvre d'André
Markowicz écrivain. La tâche du traducteur ne saurait être une
finalité : il y a écrire. Et pas possible de
transmettre ceux-ci sans se porter soi-même à cette frontière
devant le vide.
Alors, à cette frontière, il y a cette mise en travail de
soi-même, et cela s'appelle encore poème.
Nous sommes mus, à cet
endroit où cela tremble, par ces lectures que nous portons. Mais,
justement, nous avons appris à reconnaître, dans ce texte de Kafka,
ce poème de Pasternak, à ce qu'eux-mêmes, en ce même lieu, devaientà telle autre lecture.
Et André Markowicz présente ici ce double travail. Voici les
poèmes : travail de langue à la frontière. Mais voici, en
seconde partie du livre, ce qui est bien plus qu'un appareil de
notes : et l'histoire russe, et l'histoire des Juifs dite par
un vers de Guennadi Aïgui, et Virgile ou Sophocle en amont de
Shakespeare, et, pour l'air et les ciels où on travaille, les mots
de la langue bretonne, le pays où il vit.
Mais, avant tout, les grandes ombres de Paul Celan, d'André
Mandelstam (ou Agamben commentant Mandelstam, André s'inscrivant
dans toute une suite de ces prismes où nous-mêmes nous sommes...).
La question de la folie, souvent tangente sous les phrases.
Merci à André de nous confier ce travail à vif, sondevant de langue.
Merci à François Rannou et Mathieu Brosseau d'avoir travailléà
cette mise en page pour lecture numérique (version eBook
incluse).
Internet, par de tels textes, s'affirme comme un médiamajeur : capable d'affronter les plus hautes ombres, et
que c'est encore pays de langue.
FB (Lien -> http://www.tierslivre.net)
Les Gens de cendre est le second ouvrage de « poésie
non traduite » d'André Markowicz.
Ses poèmes sont datés, ilsévoquent un disparu qui lui est cher (proche, écrivain lu et/ou
traduit), ils disent le nécessaire lien de vie entre le réel, la
lecture, la traduction, l'écriture. Pour chaque texte, une note en
fin de livre éclaire le lecteur. Comme un gué lorsqu'on traverse un
cours d'eau dont la fraîcheur vive saisit. On sent sous les pieds
les pierres qui vous portent, on ne les voit pas, et l'on rejoint
l'autre rive...lorsqu'on se retourne, qu'on cherche à retrouver le« chemin de traverse », on les aperçoit, alors que l'eau,
un peu plus haut retenue sans doute, a légèrement baissé, qui
affleurent à la surface...elles nous ont fait franchir un seuil
sans presque se montrer, nécessaires comme des mots de passe.
En
marge, on s'ouvre à un autre paysage intérieur, la précision
ancrée d'un autre poème élargit la perspective de lecture. Qui
bouleverse.
Pour la collection L'Inadvertance de publie.net,
François Rannou, Mathieu Brosseau
André Markowicz, né en 1960, a publié une
centaine de volumes de traductions, d'ouvrages de prose, de poésie
et de théâtre. Il a participéà plus de quatre-vingts mises en
scène de ses traductions.
Il a traduit l'intégralité des oeuvres de
fiction de Fiodor Dostoïevski pour les éditions Babel/Actes sud (45
volumes), le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les pièces
d'Alexandre Pouchkine et son roman en vers Eugène Onéguine
(Actes Sud), le Bal masqué de Mikhaïl Lermontov, ainsi
qu'une dizaine d'autres pièces publiées aux éditions José Corti ou
aux Solitaires Intempestifs. Il a traduit, en collaboration avec
Françoise Morvan, le théâtre complet d'Anton Tchekhov.
Après voirégalement traduit avec elle Le Songe d'une nuit d'été, il a
entrepris une retraduction intégrale du théâtre de Shakespeare
(une dizaine de titres parus à ce jour, aux Solitaires
Intempestifs).
Figures, son premier livre de poèmes« non-traduits », est paru aux Editions du Seuil en
2007.
Quelques liens concernant André Markowicz :
indiscrétions sur André Markowicz (Lien -> http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1469).
A
noter que les Solitaires Intempestifs publient simultanément 5
traductions d'André : Mesure pour mesure (Lien -> http://www.solitairesintempestifs.com/fr/ouvrage327.html) de
Shakespeare : manière à nouveau d'affirmer ensemble, avec la
maison d'édition dirigée François Berreur, que le numérique et le
livre peuvent s'épauler, se compléter - et c'est la figure de
l'auteur-traducteur qui alors devient plus complexe, engagée :
vivante.